Il paraît que la cuisine portugaise connaît actuellement un engouement international. Peut-être bien. On voit en tout cas pas mal de « foodies » du monde entier accourir à Lisbonne, ce qui contribue en partie à stimuler la créativité gastronomique locale, mais qui met aussi la ville en péril de gentrification.
Dans les minuscules rues pavées, on voit des graffitis tels que « Tourists Suck » ou « Fuck AirBnB ». Mais on y croise aussi des grands-mères qui vous vendent quelques shots de ginjinha, une liqueur de cerise, que l’on descend en plein après-midi en se demandant quelle vie on aurait bien pu avoir si cette grand-mère avait été la nôtre. Dans les restaurants, les gens fument tous, y compris dans ceux où sur les nappes blanches sont disposés des verres à vin de trois différentes tailles, comme O Magano. Le porto-tonico, qui comme son nom l’indique combine le porto et le tonic, et dont on ne peut plus se passer une fois qu’on l’a goûté, y est généreux ; il arrose une salade de fèves, une salade de saucisse portugaise ou une belle sole grillée. On y termine avec une sorte de gâteau, ou plutôt de gâteau-ïde qui consiste en une grosse pile de jaunes d’œufs épaissis par du sucre. La conclusion idoine d’une série de mets sensationnelle, jamais cool, en tout cas jamais cool au sens « tendance » du terme. Mais par inversion, cette ignorance du cool, du cool conscient de lui-même, rend donc l’expérience gustative authentiquement cool – car avant tout délicieuse.
Pas de patrons relous
De leurs restaurants et de leurs traditions culinaires, les Lisboètes ne sont pas du genre à faire tout un plat – sans mauvais jeu de mots. Si vous allez à la Cervejaria Ramiro, par exemple, un établissement considéré par certains experts comme le meilleur de Lisbonne, vous ne croiserez personne, ni chez les tenanciers ni chez les clients, qui viendra vous raconter qu’il connaît très bien le type incroyable qui a pêché le crabe que vous mangez, ou vous raconter en détail comment il a été préparé. Ce genre de conversation n’est pas dans les habitudes de la capitale portugaise, ou disons qu’elle n’est pas une priorité de ses habitants. La Cervejeria est pourtant prisée des touristes pour son exceptionnelle carte de fruits de mer : citons ses petites crevettes à l’ail et à l’huile d’olive, ses grosses crevettes hyper charnues, ses palourdes à se damner, sans oublier son homard de roche – le « rock lobster » de la chanson des B-52’s –, qui, malgré ses dimensions indécentes, donne envie d’en commander un deuxième sitôt le premier terminé.